Article de rentrée #1
L’e-mail – tout comme le téléphone et autre suppôt de la sociabilité à distance – est un chemin de croix : avec les 60% de communication non-verbale en moins, difficile de pleinement appréhender le texte de votre interlocuteur et donc d’y apporter une réponse adéquate. Néanmoins, cela ne doit pas vous empêcher de signifier à votre entourage qui est le patron, bien au contraire. Chez Girlshood, comme sur toute bonne plateforme estampillée « bien-être », « réussite » et « comment le récupérer après qu’il vous ait trompé pour la 45ème fois », nous aurions pu vous noyer sous des flots de « lisez correctement votre e-mail », « déterminez les points d’achoppement », « soyez poli », « reconnaissez vos erreurs »… Mais nous sommes là pour que chacun de vos e-mails suinte le « who’s your daddy ? », pas le « désolé d’exister ». Florilège.
1) Ne répondez jamais immédiatement. Attention, vous êtes maintenant une grande personne : tout comme dans une relation, le coup du « j’attends 3 jours avant de donner signe de vie » est tellement érodé qu’il en est devenu minable. Néanmoins, posez-vous et respirez un bon coup avant de cliquer sur « send » : la précipitation laisserait penser à votre interlocuteur ou interlocutrice que vous êtes à son entière disposition. De plus, ne justifiez jamais votre retard ; les phrases de l’acabit de « oups désolé je croulais sous le travail » sont à honnir de votre vocabulaire. S’excuser, c’est pour les faibles.
2) De base, envoyez des messages plutôt sympas, enjoués et affables (sans trop en faire. Restez dans les délimitations du self-respect). Nous percevons vos légitimes doutes : comme chacun le sait, la gentillesse est la pire des faiblesses. Mais faites-nous confiance, ce n’est que préparation pour votre machiavélique e-dessein. Du jour au lendemain – surtout si votre interlocuteur prenait un peu trop la confiance du fait de votre bonhomie naturelle – passez à un mail froid, concis, brutal, que vous finirez pas un « bonne journée POINT » (le point est la reine-mère connasse de la ponctuation ; demandez à votre ex). Effet « douche digne des eaux de Sibérie » garanti. Candy s’est transformée en Poutine en moins de temps qu’il en faut pour dire « massacrez 100 000 Tchétchènes ». On parie que votre destinataire viendra à votre bureau bredouiller de piètres excuses, auxquelles vous répondrez d’un hochement de tête entendu et d’un rictus carnassier en coin.
3) Au mail de 18 pompeux paragraphes émanant de l’abruti qui pense pouvoir vous la mettre tout en se faisant bien voir du boss, répondez juste : « bien reçu (point) ». Si vous voulez l’enterrer définitivement, ajoutez un petit : « au 8e paragraphe, 24 lignes, tu entends quoi exactement ? » KO assuré : explosion synaptique, remise en question existentielle abyssale, suicide.
4) Constituez-vous une bande de winners et créez votre propre langage virtuel fait de verlan, acronymes, blagues alimentées par Reddit. Au sein d’une chaîne d’e-mails, ceci est le moyen parfait pour complètement léser les outsiders et renforcer un peu plus l’aura dominatrice de la team digitalposse.
5) Ayez toujours à portée de main un florilège de réponses cinglantes dont la politesse ne cache que mal la véritable violence du propos. Par exemple : « J’ai bien pris connaissance de ton mail. On en reparle dans la semaine/Tu m’appelles ? » Traduction : « J’ai bien pris connaissance de ton mail et je choisis sciemment de ne pas y donner suite, tellement c’est de la merde. Comme je suis grand seigneur et pour ne pas te foutre la honte parce que tu t’es cru malin en mettant la Terre entière en copie, je ne jetterai pas l’étendue de ta médiocrité en place publique. On va faire ça en face à face, ok ? »
6) Faites virevolter la corde émotionnelle. Comme dans toute relation amoureuse fonctionnelle, jouez la carte du sentimentalisme mal placé. « Nicolas, est-ce que je peux te faire confiance avec ce dossier ? Je ne le demanderais pas à n’importe qui et si je pouvais je m’en occuperais personnellement. Mais là, c’est urgent. » En vérité, ce type de mail fait de vous la pire des ordures : ce cher Nicolas serait tout à fait en droit de vous dire d’aller royalement vous faire voir. Mais vous êtes un virtuose e-manipulateur, alternant avec brio entre arpèges sensibles, pizzicati confiants et gamme méliorative. Non seulement Nico va se trouver dans l’obligation de donner suite à votre requête, mais il se sentira valorisé par le torrent d’étron que vous lui déversez sur la tronche un vendredi à 19h00.
7) Utilisez des acronymes, réductions et initiales afin de bien faire comprendre que vous n’avez pas le temps pour les fioritures langagières et autre lubrifiant communicationnel. Vous êtes dans la performance, pas dans le copinage. « Slt, KR, CDT, BR, xoxo ».
8) Ne répondez pas aux blagues ou toute tentative de rapprochement personnel. Ignorez-les, faites preuve de sarcasme ou répondez de manière polaire (genre « OK point »). Si votre interlocuteur ose l’emoji, renvoyez-le simplement vers un site de l’acabit de « réussir-sa-vie.com » à l’article : « 13 moyens de gagner en maturité ».
9) Attention à l’utilisation des « asap ». Faites-le en bonne intelligence. Si vous flairez la fragilité nerveuse de votre interlocuteur, blindez-en votre e-mail : « Slt Fabien, j’ai besoin asap de cette reco, c’est hypra urgent. KR. Signé : asap. » Par contre, si vous avez en face un wannabe alpha mâle, le dit « asap » doit venir ponctuer une diatribe sournoise et assassine : « Il serait bon dans l’intérêt du client (sous entendu : « le client étant roi, c’est surtout dans ton intérêt ») que la reco soit fournie asap (utilisez le passif : la formule est limpide quant à l’identité du pauvre bougre qui s’en prendra plein les miches si la-dite reco n’est pas envoyée) ».
10) Un mail trop long ? Réponse : « Bien, j’attends ta note de synthèse ». Et les must du must: « OK (POINT) » ou « ? »
Photo de Une: HBO
Article publié dans le Bonbon Nuit
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