Il a pas dit t’es bonne il a dit t’es belle
Le harcèlement c’est tous les jours dans sa vie. Tous les jours depuis qu’elle habite Paris. Elle a déménagé il y a trois ans. Elle vient de Brie sur Argens, 3917 habitants, c’est dans les Alpes. La première année elle n’a pas trop remarqué, enfin si, mais elle s’y attendait, elle était prévenue. Elle pensait même, peut-être devrais-je le voir comme un compliment. Compliment c’est un mot qui revient souvent d’ailleurs dans ce que lui lancent les mecs qui squattent les bancs à la sortie du métro. « Eh souris eh! C’est un compliment! Il a pas dit t’es bonne il a dit t’es belle, et t’es encore plus belle quand tu souris! »
La semaine c’est pantalon
La deuxième année elle en a eu marre. Marre de sourire sur demande même les jours où elle veut pas sourire, marre de répéter son prénom, tout le temps. Elle a commencé à adapter ses vêtements. Le samedi, le dimanche, si elle sort en journée, elle peut se permettre des bottines ou des collants. Si elle sait qu’elle rentrera après seize heures, c’est pantalon. Seize heures c’est l’heure où les parcs se vident, où les parents rentrent à la maison. Où les jeunes, comme on les appelle, se réveillent, s’installent. La semaine c’est pantalon. Ses bottines plates, qui claquent à chaque pas sans vraie raison, elle ne les met plus qu’à Noël quand elle rentre chez ses parents.
Mais plus depuis cette année. Elle les a tout bonnement oubliées. Troisième année. L’année des subtilités. L’art de la modulation, l’art du centimètre. En troisième année on apprend à sourire juste assez pour éviter l’insulte mais pas trop pour ne pas relancer la conversation. On apprend à dire un non qui s’entend mais qui ne vexe pas. On sait ce qui fait pute.
Si elle réussit, et il y a des nuits où elle en doute, si elle survit, c’est-à-dire si elle ne cède pas, ni au viol, ni au voile, ni au déménagement, alors elle passera en quatrième année.
Il paraît qu’en quatrième année il y a TP Solidarité. Sa voisine n’a pas eu la moyenne à son exposé l’an dernier. Cette idiote a cru que quand on se faisait violer dans le hall de l’immeuble, les voisins de palier sortaient de chez eux et intervenaient.