Ce soir-là il pleuvait. Il pleuvait comme il pleut à Berlin en été. Des trombes d’eau. Le ciel s’est chargé d’or, d’un coup, l’air s’est fait glacé, la pluie torrent, nos corps en sueurs se sont jetés dans la rue comme des chiens dans l’eau d’un lac. Nous avions chaud, très chaud. Trop chaud. La soirée avait été brûlante, comme un été à Berlin entre deux âmes tourmentées, tourmentées de désir, obsédées par la chair de l’autre, obsédées par les mains, les lèvres, la peau de l’autre. Nous nous retrouvions à la cave, dans les toilettes, derrière le bar, dans le bureau à l’étage, dans la bibliothèque, nous trouvions toujours une ombre où abriter nos baisers, nos caresses, nos regards déroutés. Et puis vint ce soir-là. Ce soir d’été brûlant où nos deux corps brûlants ne surent pas se lâcher. Quand il tourna la clé dans la serrure du cadenas sur la porte du restaurant j’étais derrière lui. Mon souffle sur sa nuque, tout près. Alors j’ai respiré l’odeur de l’orage qui approche, j’ai senti ma peau frissonner dans la fraîcheur de la nuit mouillée, j’ai senti les premières gouttes sur mes mains, elles qui plongeaient dans ses cheveux emmêlés. L’orage a éclaté quand il a posé ses lèvres sur les miennes. L’orage a éclaté. Nous nous sommes jetés dans la rue comme des fous vers la liberté, il a pris ma main, et nous avons couru, couru en avant, remontant la Oranienstr., trempés jusqu’à Kotti, puis nous avons marché, le regard vers le ciel, grelottant, sautillant, nos mains sur nos visages, à essuyer le regard de l’autre. Nous avons marché jusqu’au canal, Kottbusser Brücke, avons enjambé le portillon, dévalé les quelques marches et nous nous sommes assis au bord de l’eau, les jambes dans le vide, sous le saule protecteur. Rieur pour cette nuit.
Ce soir-là il pleuvait. Il pleuvait comme il pleut à Berlin en été. Des trombes de magie. Le ciel se zébrait d’or et d’argent, l’eau ne mouillait pas, si forte, si dense, et entre les gouttes Mark et moi. Entre les gouttes les lèvres de Mark sur les miennes, la langue de Mark sur la mienne, mes mains dans ses cheveux, ses mains sur mes cuisses, mes fesses, mes seins. Sa langue sur mes seins, mes mains dans son dos. Trempés d’amour et de désir, de sueur et de magie. Trempés au milieu de la nuit, au bord du canal, dans un orage estival berlinois, comme on en rêve le jour, comme on en crève la nuit, de désir.
Quand la folie s’est calmée nous avons ralenti nos baisers, la passion s’est faite caresse, ses doigts parcouraient mon visage et nos sourires d’enfants faisaient fondre les quelques passants. Mark s’est relevé, m’a tendu la main, je me suis relevée, j’ai pris sa main, nous avons gravi les marches, enjambé le portillon, et dans la musique des gouttes qui tombaient encore du ciel bleu gris de l’aube nous avons repris la route. Son bras entourant mes épaules, sa main dans la mienne, toujours, il m’a guidée le long du canal, Maybach Ufer, puis le pont, et à l’ange là un peu plus loin, son balcon, juste là, au deuxième étage, où tu vois toutes les plantes.
Je n’étais ni curieuse, ni angoissée, ni excitée en montant les marches, j’étais moi, c’est tout, trempée, amusée de l’être, et bien, incroyablement bien. Mark, ou le plaisir d’attendre, Mark, ou la jouissance d’avoir su attendre. La beauté de l’attente. Vertrauen ist sexy. Motto commun.
La porte s’est ouverte sur un Mark de bois et d’or. Un appartement sombre et doux, dur et froid, chaud et magique à la fois, Mark. Du cuivre, de l’or, du bois, beaucoup de bois, des draps crèmes et gris, une bibliothèque fantastique, un piano, un vieux piano, et quelques guitares. Et Mark, Mark au milieu de son royaume, son antre, son refuge, cet endroit qui me semblait destiné, comme Mark lui-même. Destiné. Mon appartement te va bien, ou est-ce toi qui lui va bien, je ne sais pas, mais vous êtes beaux ensemble.
Mark m’a serrée contre lui, et sur le tapis, au milieu du salon, nous avons dansé, doucement dansé, sur la mélodie de la pluie qui reprenait là-dehors, sur la mélodie de la pluie et du jour qui se lève, douce musique d’été qui ne se savoure pleinement qu’à deux, et nus, dans la moiteur d’un mois de juillet.
Ses mains ont dessiné mon corps, attentives à chaque courbe, chaque creux et chaque bosse, ses doigts laissaient sur ma peau frissons et sueurs, chemin de désir. Il a ôté ses vêtements en premier, sa chemise, son tricot, son pantalon, tout en même temps, dans une lenteur sensuelle, sans me quitter des doigts, sans me quitter des yeux, hypnotisée je contemplais chaque morceau de peau nouveau, encore inexploré, mes mains en suspens dans l’air je le mangeais des yeux. Chaque atome, chaque particule de ce corps frêle et puissant à la fois ravissait mes yeux. Je le trouvais beau, parfaitement beau, parfait pour moi. Sa peau lisse, ses muscles bandés, ses tétons durcis par l’excitation, et son sexe. Tendu, nu, simplement beau. Je souriais si fort à l’intérieur que mon corps rougissait d’éclat. Je n’avais jamais songé à l’imaginer nu, je crois que je savais depuis la première seconde qu’il me plairait, qu’il serait mien, mais en ce soir orageux, en ce soir d’été berlinois, je souriais de plaisir, d’être avec lui, d’être contre lui, contre Mark, et contre ce corps dont j’aurais pu rêver chaque nuit. Ce corps parfait pour moi.
Je posai ma main sur son sexe, savourai sa douceur, la peau de son sexe est incroyablement douce. Je posai ma main sur son sexe, savourai sa densité, sa présence dans ma main, presque trop grand pour moi, cette densité qui s’approche du presque trop, presque trop gros pour moi, presque. Et j’ai senti mon corps mouiller sous ce presque. Ce presque qui inspire la peur, l’anxiété face au trop, mais parce que c’est un presque et non un trop, l’excitation, l’intensité, la sensation de perte de contrôle, être dominé, être possédé par ce sexe presque trop gros. Grand, fort, bandé, doux et beau, doux et puissant à la fois, Mark, mon Mark.
Nos corps ont glissé vers sa chambre, son lit, et entre les draps crèmes et gris Mark a pris mes seins dans sa bouche, les a fait danser sous sa langue jusqu’à m’en faire jouir, Mark a soulevé mes hanches, m’a placée face à lui, doux et puissant à la fois, tout ce que j’aime chez lui, tout ce que j’aime au lit, respect et domination, vertrauen ist sexy. Entre les draps crèmes et gris, dans les rayons du soleil levé, dans l’odeur de la terre humide, Mark a pris son sexe dans sa main, m’a regardée droit dans les yeux, et s’est introduit en moi. Chaque cellule, chaque parcelle de mon vagin a soudain ressenti sa présence, sa puissance, son désir. Je me plaisais à lire son plaisir sur son visage, l’entendre dans ses souffles rauques, mais surtout le sentir en moi, je découvrais cette sensation de partage total, chaque gonflement appuyait contre mon vagin, chaque mouvement se faisait caresse, jamais je n’avais ressenti tel plaisir. Ses lèvres cherchaient les gouttes de sueur dans mon cou, ses mains s’accrochèrent aux miennes. Je ne pouvais fermer les yeux, ceux-ci restaient résolument accrochés aux siens, à son visage, à son corps. Je le trouvais si beau, je le trouve si beau, Mark.
Il a joui en moi, au plus profond de moi, les mains accrochées dans mon dos, le corps cambré. J’ai enfoui mes mains dans ses cheveux, l’ai submergé de baisers sur ses joues, son front, ses yeux, j’ai enserré sa taille entre mes cuisses, inspiré le bonheur qui envahit la chambre. Fous de passion et de sentiments, de désir d’adultes et d’amour d’enfants, le parfait équilibre entre raison et déraison, Mark, mon Mark, mon alter ego, mon homme, et mon copain d’école, Mark, si beau que je pourrais le regarder jouir et dormir sans jamais fermer les yeux. Mark…
Image d’illustration : James Leocadi. Licence Creative Commons.