Nous avons eu le plaisir d’assister cet été au Summer Camp d’Osez le Féminisme, qui se tenait les 20 et 21 août dernier à Aix-en-Provence. Parmi les interventions toutes plus intéressantes les unes que les autres (celle du Mouvement du Nid sur l’abolition de la prostitution, celles de féministes européennes concernant le droit à l’avortement en France, celle des représentantes d’EndoFrance en région PACA…) nous avons retenu celle de Marie Allibert, l’une des porte-parole d’OLF, lors de la plénière consacrée au corps de la femme. Marie est plus particulièrement intervenue quant aux relations entre la médecine et le corps des femmes. Même si on ne peut bien entendu pas mettre tous les médecins dans le même panier, et qu’un certain nombre d’entre eux se revendiquent d’ailleurs féministes, il est terrifiant de constater à quel point la médecine ignore, voire même méprise le corps féminin, et la femme en général. Le sexisme ordinaire est aujourd’hui inséparable de la médecine française. 5 exemples ont retenu notre attention :
1/ Le scandale du CHU de Clermont-Ferrand
En janvier 2015, OLF fut alertée par une étudiante en médecine. Dans une des salles de l’internat du CHU de Clermont-Ferrand se trouvait cette fresque depuis plusieurs années:
Les bulles avaient été rajoutées il y a peu, en référence directe à la loi santé de Marisol Touraine. Une fresque réalisée dans le plus pur esprit « carabin » qui caractérise les études de médecine. L’esprit carabin, c’est cet esprit grivois qui viendrait dédramatiser la dure vie des internes en médecine. Le problème, c’est quand celui-ci va trop loin : harcèlements d’étudiantes par d’autres étudiants ou par des professeurs, blagues sexistes, humiliantes, agressions sexuelles voire viols lors de soirées arrosées etc. Dans le cas de cette fresque par exemple, le syndicat des internes en médecine a présenté ses excuses auprès de la Ministre de la santé et de toutes les femmes qui auraient pu être choquées par cette image, mais cela n’a pas empêché pour autant Anne-Cécile Mailfert, alors porte-parole d’OLF, de se retrouver harcelée d’appels et de messages sur son téléphone portable dont le numéro avait été rendu publique sur Facebook. #MedecinsToutPuissants
2/ Le « point du mari »
Vous avez peut-être entendu ce terme en 2014, quand il a fait débat. Fantasme pour certains, cruelle réalité pour d’autres, de nombreux témoignages ont pourtant afflué, venus de patientes, de sage-femmes, ou encore de gynécologues. Le point du mari est une pratique, certes peu répandue, mais qui existerait tout de même, qui consiste, après une épisiotomie, à resserrer l’entrée du vagin d’une femme avec un point de suture supplémentaire de façon à favoriser le plaisir de l’homme. Le magazine Elle partage le témoignage de deux sage-femme, dont celui de Claude Vouillot, qui raconte avoir plusieurs fois assisté à cette scène : « “Je vous la rends comme avant ?” demandait l’obstétricien au mari avec un clin d’œil. Lorsque je m’y opposais, on me traitait de féministe hystérique. Il m’arrive de visiter en suites de couches des femmes recousues trop serré sans qu’on leur ait demandé leur avis. Dans ce cas, je fais sauter les derniers points. »
Qu’on soit claires: cette pratique n’est rien d’autre qu’une mutilation génitale, oui, appelons les choses comme elles sont.
Les mutilations sexuelles féminines sont des interventions qui altèrent ou lèsent intentionnellement les organes génitaux externes de la femme pour des raisons non médicales. Définition de l’OMS
3/ Des touchers vaginaux sans consentement
Commençons tout d’abord par une définition:
Le viol est défini par le Code pénal (article 222-23) comme tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. (…) On distingue le viol des autres agressions sexuelles à travers l’existence d’un acte de pénétration qui peut être vaginale, anale ou buccale. Cet acte peut être réalisé aussi bien avec une partie du corps (sexe, doigt, …) qu’avec un objet.
Maintenant le scandale des touchers vaginaux sans consentement : il a éclaté l’année dernière notamment, après la révélation d’un rapport réalisé par le professeur Jean-Pierre Vinel, président de la Conférence des doyens de faculté de médecine, que Slate s’est procuré, et qui montre que le phénomène est loin d’être marginal. Un toucher vaginal sans consentement, c’est quand vous allez dans un CHU (Centre Hospitalier Universitaire) pour vous faire opérer, et que le médecin profite de votre anesthésie générale pour faire s’entraîner ses étudiants sur votre vagin relâché.
Rien ne vaut un témoignage, celui de Clément, alors stagiaire au CHU de Bourg-en-Bresse. Son professeur le prévient à l’avance : « On profitera de l’opération pour que tu fasses un toucher vaginal. Il n’y a rien de mieux pour s’entraîner, tu seras à l’aise » (…) « J’en avais fait un auparavant sur une patiente éveillée. Quand ton chef t’explique où il faut mettre les doigts et comment les tourner, c’est très gênant. Au bloc, c’est plus facile et pratique d’expliquer crûment le procédé. C’est un acte médical, sans arrière-pensées, on ne cherche pas à nuire. La patiente est plus considérée comme un corps que comme une personne ».
4/ Les six minutes de trop
En cas d’accident cardiovasculaire, la prise en charge d’une femme est plus longue de 6 minutes (par rapport à celle d’un homme). Pourquoi? Ben parce que « ro lalala ma p’tite dame, vous êtes sûre que vous exagérez pas un peu là? Vous avez vraiment mal? » #ToutEstDit
5/ Les statistiques qui dérangent
La médecine, haut-lieu du sexisme ordinaire : en témoigne cette question glissée dans un QCM d’un examen blanc en avril dernier :
Le harcèlement sexuel au travail fait beaucoup rire les médecins qui rédigent les examens blancs de ma fac. Honteux pic.twitter.com/HGenXbveBy
— Pauline(tte) (@pziou) 8 avril 2016
Pauline témoigne alors sur Le Plus, du Nouvel Obs : « Pour ma part, ce sont mes passages en chirurgie qui m’ont le plus choquée. Le bloc opératoire est une sorte de lieu où l’humour misogyne et salace est autorisé (voire encouragé) sans que cela ne semble choquer personne. Un lieu où je me suis vue menacer de viol. Où l’on m’a interrogée sur mes pratiques sexuelles. Où l’on a à loisir commenté mon corps, ses courbes ou leur absence. »
Comment s’étonner quand on sait qu’en 2015, les femmes représentaient 43% des médecins, et qu’elles étaient seulement 16,8% en chirurgie générale (source Insee)!
Cet article n’a pas pour but de blâmer l’ensemble du corps médical ou de casser l’ambiance à la pause café. Il est là pour mettre en lumière le fait que trop souvent, encore aujourd’hui, la patiente n’est « qu’un corps » et non une personne. Qu’une fois enceinte, la femme voit son corps tomber dans le domaine public, on ne lui demande pas son avis avant de caresser son ventre, de la mettre sous péridurale voire même de lui faire une épisiotomie. Qu’on continue à remettre en question son avis, ses témoignages, sa souffrance (voir notre article sur l’endométriose). « La femme est une mineure éternelle face à la médecine : elle ne sait pas ce qui est bon pour elle » déclarait Marie Allibert au dernier Summer Camp.
Il est grand temps de remettre en question le patriarcat dans la médecine d’aujourd’hui. Que le corps des femmes soit tout autant respecté que celui des hommes, par la société, mais aussi par les médecins. Que ce sexisme ordinaire ne le soit plus.
Article publié originellement le 12/09/2016