Campagnes de pub borderline, agressions sexuelles à répétition égrenées au sein de pépites pop-culture, laisser-passer juridiques pour violeurs… Ajoutons à la sexualisation du corps féminin la banalisation des violences qu’il subit ; quitte à flirter parfois avec la glamorisation. Mais que se passerait-il si les rôles s’inversaient ? Que glapirait l’opinion publique si Ramsay avait dû subir les assauts de Sansa ? ZOU semble y avoir longuement réfléchi: « malheureusement, nous fonctionnons ainsi : si nous ne nous identifions pas, si ce n’est pas proche de nous, nous ne nous y intéressons pas ». Artiste française expatriée à Berlin, ZOU a écrit « La Bombe » comme un moyen d’expurger sa colère face à la violence des rapports genrés. Quatre ans plus tard, elle en co-réalise la vidéo. Sélectionné au Berlin Music Video Awards, le clip se joue et renverse les codes établis afin de proposer une vision atypique des violence sexuelles. Résultat: ça titille là où ça fait mal. Entretien avec une femme aussi douée avec les mots qu’avec les images.
©Sophie Dumaresq
Peux-tu nous en dire plus sur la genèse du projet ?
J’ai écrit la chanson “La Bombe” il y a 4 ans. Je me suis inspirée d’expériences personnelles qui ont fait écho à ce que je voyais sur les écrans, magazines, etc. L’idée de mettre en scène un viol est venue plus tard. Pour moi, cette hypothèse de travail est symbolique: elle transcrit ce que j’exprime dans la chanson en allant plus loin encore. Cette direction artistique a été confortée par ce que je voyais autour de moi. Je voulais montrer la violence des rapports humains et mettre en lumière la puissance/responsabilité des médias. La Bombe, c’est une rébellion, une critique à l’état brute de la normalisation de la violence. C’est l’utilisation de mots ingrats dans la bouche d’une artiste-femme pointés sur la tempe d’un jeune homme. J’ai accouché de la Bombe d’une manière sauvage. J’étais très en colère. Ensuite, j’ai fait mûrir le projet au travers de discussions, visionnages, lectures.
Il y a donc 4 ans de différence entre la chanson et le clip ?
Oui. Je me suis lancée dans l’écriture du clip bien après le morceau. Je me suis entourée de ma sœur Clémence Demerliac (co-réalisatrice) et d’une équipe passionnée et talentueuse pour la réalisation, notamment à la direction de la photographie Anne-Angèle Bertoli et à la caméra Maxime Eraud. L’idée était de poser les bases d’un discours empreint de haine critiqué par la suite dans la chanson.
Pourquoi « La Bombe » ?
Il y a une idée d’explosion, de guerre, de projection, mais aussi de canon de beauté. C’est paradoxal et ambigu, comme tout ce qui entoure la question du viol. Dans “La Bombe”, il y a l’idée de rupture : rupture avec le schéma social connu. Nous avons cherché à donner la possibilité aux hommes de s’identifier à la victime et aux femmes de s’identifier aux bourreaux. Étonnamment – ou non -, il est plus difficile de trouver un acteur ayant assez de cran pour jouer le rôle de Jim, que de trouver une actrice pour interpréter le rôle d’une femme victime de viol. En revanche, j’ai noté des retours très positifs des spectateurs masculins, et plus compliqués, disparates pour les femmes. Nous sommes abreuvés de viols de femmes très mignonnes au cinéma, de clips profondément misogynes. Et c’est toujours les mêmes schémas, ça devient la normale. L’idée de « La Bombe » est de changer le référent pour prendre conscience que ce n’est pas normal: un viol, ce n’est pas sexy: un viol. Bien sûre pour La Bombe nous avons joué à fond sur le sex appeal de l’acteur Cyril Crampon, afin de montrer à quel point cela pose problème. Érotiser un viol, c’est dramatique. Avec ce twist, le renversement des rôles, nous redonnons implicitement au viol sa nature d’horreur. Dans les paroles, je fais référence kitschement aux membres de ma famille afin de condamner le viol par association et en jouant sur notre capacité à ressentir de la compassion pour l’autre : si je ne veux pas que cela arrive à mon frère, alors je ne veux pas que cela arrive aux homme, aux femmes, etc. Loin du corps, loin du coeur. Nous rapprochons les corps pour parler au coeur, finalement.
Le clip a été tourné dans un bel endroit de Paris…
Oui, nous avons tourné sur le toit de la Sorbonne. C’était important pour moi de poser le décors dans un espace exceptionnel et de sortir des présupposés et stéréotypes qui entourent le viol, et qui empêchent de penser. En effet, nous voulions sortir du décors mainte fois repris de la banlieue, de la ruelle noire. En quelque sorte, nous avons joué avec la familiarité et l’exceptionnalité du lieu. Un toit qui surplombe la ville, ça nous extrait du temps, de l’espace quotidien, de la réalité. Par là, nous avons cherché à garder une distance avec l’histoire. L’université Panthéon-Sorbonne, c’est aussi pour moi un lieu emblématique. C’est un lieu de culture, de civilisation, d’émancipation, d’héritage aussi. Nous sommes en plein coeur de Paris, dans le quartier latin, à deux pas du Panthéon, de la bibliothèque Sainte-Geneviève, etc. Pourtant, même ceux qui ont accès à tout ça, se permettent de faire du mal. Les viols, les viols organisés en soirée… Il y a des histoires presque tous les ans en écoles de commerce, plein de faits qui sont tus par les administrations pour ne pas abîmer l’image de l’école, quand encore elles sont mises au courant. Des histoires dont on ne parle pas ouvertement, que l’on ne nomme pas, mais qui sont bel et bien des viols. L’alcool et les drogues sont souvent le bouc émissaire idéal, les week-ends d’intégration, le terrain idéal pour légitimer les histoires les plus glauques. Avec La Bombe, nous parlons à l’élite de ses tabous. Je suis très fière d’avoir tourné à la Sorbonne, également, parce que j’y ai étudié. C’est un lieu qui fait un peu partie de moi et de ce que je suis devenue. L’université nous a soutenu dans notre projet. Je trouve ça génial que certaines institutions et personnalités comme le Directeur Général des Services aient l’ouverture et la générosité de soutenir des projets d’artistes non établis, qui pour une fois ne sont pas des filles/fils de, et qui traitent des thèmes engagés. Et puis, pour nous, ça a été très inspirant de tourner dans un lieu tel que celui-ci.
Comme tu dis, on a l’habitude de voir des scènes de viol conventionnelles. Mais là, le fait que ce soit un homme – et malgré le fait que rien ne soit vraiment montré – c’était très gênant à regarder…
C’est cool ! Pour moi, c’était une expérience, je ne savais pas si cela fonctionnerait. En effet on ne montre pas grand-chose, c’était important pour nous de jouer sur une ambiguïté. Du fait du décors rêveur, de la lumière douce, du bel acteur (référence aux codes esthétiques de la publicité), il y a une forme de romantisme qui émerge; ça n’en reste pas moins un viol. Nous voulions assumer le pastiche jusqu’au bout et ainsi aller au drame. C’est l’originalité de la bombe. L’inversement des rôles n’a rien de nouveau, mais de le faire sérieusement, je ne l’avais jamais vu, c’est pour cela qu’on l’a fait! Il y a un vrai souci dans le traitement du viol. Par exemple, dans Irréversible, la scène d’agression sexuelle est très trash mais en même temps érotique ; et l’érotisation est vraiment problématique. Je réfléchis beaucoup à la question, et je n’ai pas de réponse claire. Mais une chose est sûre, le viol, c’est un fléau dans nos sociétés. Et par rapport à cette question, les artistes et les médias ont une responsabilité. Comme l’a très bien dit Clémence Demerliac lors d’un panel de discussion aux Berlin Music Video Awards et sur lequel je suis complètement d’accord : il ne faut pas se mentir, beaucoup d’artistes utilisent le sex, les propos misogynes, à des fins économiques et médiatiques, simplement pour créer le buzz. C’est un choix égoïste qui est excusé par un pan entier du monde de l’art contemporain, abusant des notions telles que l’art pour l’art et de l’extraction de l’art du champs politique. Qu’importe le message, aborder un tabou, c’est déjà être un héros, qui plus est si le discours est ultra amoral ? Je ne crois pas que ce soit héroïque, c’est juste super tendance aujourd’hui. Pour moi, une oeuvre transmet toujours une idéologie, que l’artiste le reconnaisse ou non, assume son travail ou non.
Tu vis à Berlin et tu as tourné le clip à Paris. Notes tu des différences entre les deux pays sur l’égalité des genres ?
Quand je suis arrivée en Allemagne, je trouvais l’environnement génial et beaucoup plus égalitaire qu’en France : il y a un côté très pragmatique, ça a l’air plus structuré, dans la rue, on ne te siffle pas… Puis j’ai travaillé dans une société de production très bien établie sur le marché national et européen : à peine 5% de réalisatrices femmes. Ooops! Dois-je changer de carrière ? Le plafond de verre existe aussi ici. On le voit moins de prime abord, mais il est tout de même présent. Nous avons décidé de tourner à Paris parce que c’est là que j’habitais lorsque j’ai écrit le morceau et puis je chante en français. C’était plus cohérent que de le tourner à Berlin.
Comment as-tu vécu la sélection au Berlin Music Video Awards ?
Ultra contente ! Clémence et toute l’équipe aussi. C’est la reconnaissance d’un travail. Le festival est très ouvert, l’équipe du festival est dynamique et humble, et nous avons vu des clips incroyables (Massive Attack, Coldplay, Seramic, Leningrad, Rambling Wheels, Jamie XX…), rencontrés des réalisateurs et musiciens super chouettes. C’est un honneur de montrer notre film aux côtés de clips d’une si grande qualité. On débarque, venant de nul part, avec une vision critique sur la misogynie dans les clips, lorsque l’on sait que la majorité des clips sont plutôt machistes réalisés par des hommes, le festival de fait ne fait pas exception. Et pourtant, ils nous ont donné l’opportunité de montrer la bombe et de soutenir notre démarche en nous invitant sur l’un de leur panels. C’est audacieux ! Pour nous, ce n’était pas facile de défendre un point de vue comme le nôtre face à des mastodontes dans le milieu. Je pense qu’on s’en est bien sorties et qu’on a dit ce qu’on avait à dire. Quoiqu’il arrive ça a été une expérience très riche. J’ai beaucoup appris, j’en ai pris plein les yeux, et j’espère faire des projets encore plus fous. Pour l’instant, nous cherchons à montrer la bombe au plus grand nombre, c’est une œuvre engagée, outsider, et on aimerait avoir des retours, qu’elle suscite des questions. Je crois qu’on a pas l’habitude de voir ça : c’est choquant, borderline, la réaction est presque physique, ça te marque. C’est une provocation inhabituelle ; plus difficile à faire passer sur des plateformes mainstream, et pourtant !!
Avez-vous déjà eu des retours ?
On a eu quelques « j’aime pas » en bloc (rires). Mais c’est cool, le clip suscite des réactions. Il y a aussi beaucoup de retours positifs, la discussion commence à se créer. Dans un dîner, les gens commencent par me poser des questions sur le making, et très vite ça débouche sur des débats enflammés, on s’échange des infos, la parole se libère, ça va au delà du film. Alors oui, la bombe n’est pas un clip éducatif, il ne dicte pas une conduite et n’apporte pas de réponse, mais plutôt une autre vision et surtout impulse la discussion.
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