Chère jalousie,
On n’est pas partenaires depuis longtemps, toi et moi. Ça doit faire quoi, un an qu’on se côtoie ? Avant ton arrivée, j’écoutais les potes parler de toi. Je pouvais comprendre, un peu, me sentir concernée pas tellement. On a souvent pris ton absence pour du désamour. C’est marrant d’ailleurs, là où l’on me racontait que trop présente, tu faisais exploser les couples, trop absente tu détruisais les miens. On me fait souvent remarquer que je ne connais pas de juste milieu. Je crois que toi non plus, on a un point commun. J’ai entendu parler de toi partout, on faisait des films sur toi, des émissions télé, combien d’heures passées au téléphone à essayer de raisonner les copines… Et puis t’es arrivée.
Je crois qu’au début je n’ai pas trop compris. La première fois que je t’ai rencontrée, la première fois que t’as fait tinter tous mes grelots à l’intérieur. La première fois que je t’ai racontée, qu’on m’a souri en me disant « T’es enfin jalouse », comme si c’était une victoire, un cap à passer, comme si je passais enfin mon permis de relation saine. Tu fais rien sourire de moi quand t’es là. Tu fais comme des démangeaisons dans mes fantasmes, avec toi je deviens scénariste oscarisée de drames romantiques, on devrait se faire payer pour tout ce qui se passe dans ma tête quand t’es là, on se ferait des millions.
C’est ça le pire je crois, c’est pas la réalité en fait. C’est toutes les images qui s’entrechoquent devant mes yeux, comme un grand kaléidoscope de tout ce qui peut me faire du mal, les images qui arrivent en foule, plus de vingt-cinq à la seconde, et j’en viens à confondre réalité et imagination. Tu me fais court-circuiter. Mon cerveau ressort plein de bleus et de courbatures à chacune de tes visites, tu tabasses tout, tu tritures tout, tu grattes avec tes ongles toutes les croûtes de mon manque de confiance qui peuvent jamais cicatriser car tu m’arraches tous mes pansements dans un grand fracas, tu tires sur tous les ligaments de ma petite estime de moi, pour voir quand ça va claquer.
Tu me fais un mal de clébard. Et moi je suis complètement masochiste car parfois je t’encourage. On se félicite l’une l’autre et on s’accompagne sur la pente glissante de la haine. Tu noircis tout et tu mets tous mes souvenirs d’amour à la déchiqueteuse. Je passe des heures au téléphone avec les copines qui essaient de me raisonner. Je t’avais prévenue, je ne connais pas de juste milieu. Je ne suis pas un peu jalouse depuis que tu es là. Je deviens une version moisie de moi-même. J’ai que de la haine partout pour toutes les filles qui lui adressent la parole. Tu fais rien de bon en moi, que du moisi qui dégueule de partout, et la honte, oui, la honte de te sentir si fort que ça, la honte de mes doigts qui tremblent de la colère qui me gonfle la poitrine, de l’envie de vomir tellement je les hais, toutes ces filles à qui elle parle ou sourit, ou même pas, parfois elle leur tend juste un briquet, et tu arrives au grand galop et j’aurais pas assez de mes deux mains pour infliger toutes les tortures qui susurrent à mon oreille. Je crois que je développe à ton égard un sale syndrome de Stockholm. Tu me tortures et me rassures en même temps, le soir, quand j’attends qu’elle rentre du travail.
Ça fait un an je crois qu’on se connait toi et moi, c’est avec elle que je t’ai rencontrée. C’est avec elle que j’ai appris qui tu étais vraiment, la vraie jalousie, pas celle dont on fait des chansons mignonnes et des films de Noël, celle qu’on tait tou·tes. T’es une jalousie dont je pourrais tuer. Et enfin, écrire des histoires.
Jalousement tienne,
B.