Lettre à Mogette

©Girlshood

Cher·e Mogette,

T’étais comme un petit haricot. Un petit bout en forme d’espoir niché au creux d’un ventre de sororité. Si j’avais tout connu de toi je t’aurais offert des monts et des poèmes à t’en faire pleurer de rire, on aurait fait voler des cerfs-volants, on aurait descendu les rivières et fait peur à ces saletés de poissons. Peut-être les aurais tu détestés. Et moi, tu crois que tu m’aurais aimée ? Tu crois que tu aurais tout de moi supporté, voulu courir dans mes bras pour que je te fasse tourner, tu crois que tu aurais aimé les cadeaux que j’aurais pu t’offrir, tu crois que je t’aurais gonflé à t’inciter à faire du théâtre, à te lire des contes pour enfants jusqu’à faire des nuits blanches, tu crois ? Si j’avais tout connu de toi. Tu m’aurais rendue fière d’être la sœur de ta mère. Comme si je ne l’étais pas déjà assez. Tu m’aurais guérie de cette sensation de ne pas avoir de famille, d’être une individu perdue au milieu des photos en papier glacé, comme si je ne l’étais pas déjà assez. Glacée. Comme toi.

Tu étais chaud et maintenant tu es froid. Comme mon café le matin qui attend patiemment que j’ai fini ma troisième clope du réveil. Le café froid, il n’y a rien de pire. T’attendre patiemment pour que tu finisses tout refroidi, il n’y a rien de pire. Attends-moi, j’allume la quatrième clope.

Avortement spontané qu’ils ont dit. Je t’en foutrais de la spontanéité. On pourra dire de toi que c’était ta première qualité. T’étais spontané·e. Tellement spontané·e que t’as préféré crever dans les chiottes de l’hosto pour pas voir la merde qu’il fait dehors. Un élan de vie qui se prend en pleine face l’émail de la cuvette. Comme quand je me fais vomir le soir après une énième crise de boulimie. Un élan de mort. Tu connais la différence entre Eros et Thanatos ? La vie, la mort. T’es un peu comme un Thanéros. Rien et les deux à la fois. Puis il a fallu tirer la chasse. Je crois que je me suis noyée dans les canalisations. Viens on va jouer dans les égouts avec la merde des voisins.

Au fond, tu sais, je suis presque vexée. Je le prendrais presque personnellement. Mais c’est toi qui as eu raison. Bien sûr que tu as eu raison. Comment t’en vouloir ? Si j’avais pu, j’aurais fait pareil. Je te dirais bien de m’attendre dans un coin, j’arrive, mais je ne sais même pas si je veux vraiment te rencontrer. Au fond, on ne se connait pas. Peut être qu’on se serait détestés. C’est ce qui est bien, avec les inconnus. On peut tout à la fois les aimer et les détester. Un peu comme le chat de Schrödinger. Retourne dans ta boîte. On n’a pas besoin de toi ici.

C’est une chance extraordinaire, d’être à jamais un·e inconnu·e. Tu peux être tout ce que tu veux. J’espère que tu t’en rends compte. Si tu permets, je continuerais de t’imaginer dans ma tête. Tu deviens à jamais l’écran où je peux tout projeter. L’écran de fumée que je verrais à chaque clope que je m’allume. Et crois-moi, il y en a beaucoup. J’essaie de m’avorter spontanément mais ça marche pas aussi bien que pour toi. Un jour, tu m’expliqueras.

Je voulais te remercier pour ne pas être là, de toute façon, je n’ai pas le temps de m’occuper de toi. J’ai des tas de lettres à écrire, et de clopes à fumer en m’imaginant te dire de ne jamais commencer le tabac. Fumer tue. T’imaginer aussi.

Familialement tienne,

B.