Mais qui sont les Français de Berlin ?

©Chloé Desnoyers

C’est une énigme scientifique épineuse sur laquelle aucun spécialiste ne s’est pour le moment penché.
On les entend à chaque coin de rue, on les observe à l’affût de la moindre pâte brisée dans chaque supermarché. On les entend râler dans chaque file d’attente, y compris celle de Mustafa Kebab. On les observe chercher des excuses devant les contrôleurs BVG. Ils vivent de jour comme de nuit, en solitaire ou en troupeaux.
Mais qui sont les Français de Berlin ?
Tentative d’explication …

Il y a officiellement un peu plus de 17 000 Français à Berlin. Officieusement, en comptant ceux qui ne se sont pas enregistrés à l’ambassade et qui vont donc galérer le jour où il faudra se refaire faire sa carte d’identité perdue deux jours avant un vol easyJet, nous serions dans les 35 000.
Cela représente 1% de la population berlinoise. Vertigineux.
Nous sommes officiellement plus nombreux que les Vietnamiens (pourtant installés depuis l’époque de la RDA), plus nombreux que les Américains ou les Britanniques. Les Italiens sont plus nombreux avec plus de 25 000 ressortissants à Berlin. Cependant, il semblerait que les stats soient faussées par le simple fait que les Italiens font plus de bruit et donnent donc l’impression d’être plus nombreux (le Français excelle en mauvaise foi, c’est un fait).

Originaires de toutes les régions de l’hexagone et même au-delà (mais surtout de Paris), le Français de Berlin se caractérise par une assurance à toute épreuve. Fort de ses certitudes, il espère passer son permis de conduire dans la langue de Molière ou encore retrouver de la soupe en brique pour ses longues soirées d’hiver. De la même manière, il ne manque pas d’espoir dans la recherche d’une coloc.

Pourtant tout n’est pas si facile.
Le Français, bien qu’en terrain pas si éloigné du sien, connaît une longue phase d’adaptation qui passe le plus souvent par de longues heures passées dans des classes d’allemand, à apprendre à se présenter et à dire son âge : « Ich bin 25 » et non « Ich habe 25 ». Le Français, pas franchement en terrain hostile, s’accoutume facilement des moeurs locales en appréciant un verre de vin rempli à ras bord dont on renverse la moitié, un pastis servi sans eau, un croissant garni d’une saucisse ou en maîtrisant comme tout premier mode de communication : « Ich meuchteu ein Bier ».

Il existe plusieurs groupes dans la grande tribu des Français de Berlin.
Il y a par exemple « les ancêtres » : ceux qui se sont installés là il y a 15 – 20 ans, ont connu un autre Berlin, des loyers dérisoires. Parmi eux, il y en a qui savent tout mieux que quiconque (particularité de l’animal français, avec le fait de se plaindre et de parler de la météo sans arrêt). Certains d’entre eux accusent les derniers arrivés de tous les maux et le font savoir bruyamment. Heureusement, ils sont minoritaires parmi les anciens. La majorité est bienveillante, installée en famille bi-nationale (ou non), ont quitté les quartiers trop bruyants pour des coins paisibles comme Wilmersdorf ou Reinickendorf. Ceux-là ont un regard attendri sur les derniers arrivés.
Parmi les plus anciens figurent également les « historiques », ceux nés ici à l’époque de la présence française. Eux ont droit au respect éternel des derniers nés.
Les autres groupes sont (liste non exhaustive) : les étudiants de passage, les expatriés pour raison professionnelle (l’excuse !), les V.I.E, les artistes et auto-entrepreneurs, les start-upeurs, les immigrés idéologiques, les réfugiés en Call-center, ceux qui ont faire croire à leurs parents qu’ils allaient renforcer leur allemand, les « 1ère langue allemand », les adeptes du Berghain et ceux du Kit Kat Club, pour plus ou moins les mêmes raisons.

Les Français de Berlin ont des occupations variées et sont localisables aisément autour d’endroits comme le rayon gourmet des galeries Lafayette, le Place Clichy de Friedrichshain, les bureaux BVG pour payer les amendes, Decathlon ou chez Judith Lgr hairdresser lorsqu’il s’agit de se refaire une beauté. Il est rapidement identifiable au fait que dès qu’il rencontre un congénère, le thème principal de discussion sera la bouffe.

Le Français de Berlin adore se rendre sur un des deux groupes Facebook du même nom, découvrir les questions répétitives des petits nouveaux souvent désemparés et parfois les remballer sans vergogne au lieu de les aider.
Ça permet d’évacuer facilement sa frustration. Car le français de Berlin aime à se penser exclusif dans cette ville et peste lorsqu’il croise d’autres individus du même type dans ce bar qu’il pensait non domestiqué. Bien qu’hostiles entre eux en premier lieu, les Français de Berlin aimeront toutefois se retrouver autour de raclette et de l’évocation de souvenirs d’enfance en commun. Il a bon fond et est souvent en prise avec le mal du pays. Sans toujours l’avouer ouvertement car le Français de Berlin est fier. Et pourtant, son second degré caractéristique trouvera principalement écho chez ses congénaires.

Bien que peu patriote, une poussée de fièvre inédite est apparue en juin 2016 à l’occasion de la victoire de la France contre l’Allemagne. Bien qu’officiellement peu fan de foot, le frenchy de Berlin a paradé pendant quelques jours, telle une tribu ayant chassé le plus gros mammouth, au nez et à la barbe des autochtones. Le Français de Berlin s’adapte à toute situation, est flexible et a du talent pour sortir du bois quand on ne l’attend pas (pas la nuit à Tiergarten hein …).

Car oui, malgré tout cela, le Français de Berlin est adoré sur ses nouvelles terres. Son romantisme de naissance charme les plus berlinois des Berlinois. Son accent évoque les vacances et le bon vin rouge. Son pauvre niveau d’allemand ne sera jamais remis en cause et on lui répondra en anglais pour « l’aider ». Le fait qu’il éclate de rire devant un paquet de jambon de dinde à la vue de la mention « Pute » lui sera pardonné, malgré l’incompréhension des Allemands. Il est adoré lorsqu’il doit réfléchir intensément pour mettre le verbe en fin de phrase. Adoré car ses parents en visite ne se gêneront jamais pour parler directement en français au moindre serveur local. Adoré car toujours soucieux de faire mine de ne pas comprendre le système de pourboire local (différence entre installés de longue date devenus quasiment allemand et donc généreux, et ceux qui résistent encore). Adoré car soucieux de s’intégrer, il fera l’acquisition d’une boîte permettant le transport de gâteaux pour mieux paraître local. Il n’acceptera pas pour autant d’écouter Zaz en compagnie de ses amis allemands, il y a des limites à tout.

Il est aisément envisageable de penser que la grande tribu s’agrandira encore dans les années à venir. Les « petits nouveaux » qui seront restés deviendront « les anciens » et ainsi de suite. C’est le cycle naturel de la savane berlinoise (avouez, vous venez de penser au Savane de Brossard, normal vous êtes français donc vous pensez bouffe quoiqu’il se passe).

Toute ressemblance avec des personnes existantes n’est que pur hasard scientifique. Merci pour votre compréhension.