J’ai toujours été traumatisée des coiffeurs. Depuis le jour où Béatrice, coiffeuse chez « Au coiffeur » dans mon village sudiste, m’a demandé « Comme la dernière fois ? », et que moi, du haut de mes dix ans timides j’ai dit « Euh, oui. » alors que c’était la première fois que j’étais là, et que mon papa était au téléphone à l’extérieur, et que je me suis retrouvée avec un carré bien sage au menton alors que je voulais couper les pointes à l’épaule. Quinze ans que je préfère les rendez-vous chez le dentiste aux rendez-vous chez le coiffeur. Dix ans que je pleure en sortant, car ce n’est JAMAIS ce que je voulais. Jusqu’à mes vingt ans, et puis ensuite je me suis prise en main, j’ai expliqué, rééexpliqué, apporté des photos, fais des gestes et des mimes et des mimiques et demandé à vérifier vingt fois dans un miroir la longueur de la coupe, bref, cinq ans que j’ai repris confiance. Et puis j’ai déménagé à Berlin. Question récurrente des forums : Vous connaissez un bon coiffeur à Berlin ?
Qu’est-ce qu’un « bon coiffeur » pour l’expatriée à la pointe fourchue ? Un coiffeur qui prend plus de 13€ par coupe, parce qu’on est d’accord que 13€ c’est cool mais louche, un coiffeur qui vous sèche les cheveux, parce que même si Berlin c’est trop détente, au fond si on se sèche les cheveux soi-même autant acheter une coloration au supermarché et faire d’ « au coiffeur » un « à la salle de bain ». Et puis c’est un coiffeur pas hipster, un peu plus classe quoi. Qui parle allemand et pas australien, qui ne propose que des coupes et colo et pas piercings et tattoos, qui a des produits éventuellement bio-vegan-ratsfriendly et tout ça mais qui ne fait pas de ton balayage californien un ratissage carotte. Orange is the new black mais pas encore the new blond. Merci.
Moi j’en avais trouvé un bien, dans la Friedrichstraße histoire d’être sûre de la clientèle, avec des prix bien parisiens, j’avais pris un « top stylist » oui parce qu’on peut souvent choisir entre un sous-coiffeur et un vrai de vrai –qu’est-ce qui les différencie sinon le prix, bonne question mais ça inspire trop la confiance le top stylist. Fabio ne coupait pas si je ne voulais pas couper, Fabio m’a fait un joli blond puis un joli roux, bref, contente. Jusqu’à mes envies hipsters wild d’il y a quelques semaines. Allez, j’y passe, je me rase un côté du crâne. Pas question de se lancer à la recherche d’un nouveau coiffeur pour cela –presqu’aussi compliqué qu’un bon dentiste finalement, j’appelle ma copine Kata aux cheveux roses ce mois-ci, qui sera raaaaavie de s’en charger. En effet, Kata aux doigts de fée a recoupé mes pointes, rasé un côté de mon crâne me laissant juste ce qu’il faut de millimètres pour être wild hipster sans être sale punk. Bref, tout le monde valide. Top coiffure.
Tout le monde a validé, surtout Wolf, ancien punk, ex-copain de ma copine Birgit, elle-même ancienne DJ star du milieu électro des années 90 à Berlin. Surtout Wolf, qui m’a gentiment proposé de me recouper tout ça hier parce que ça devenait trop long. Wolf n’étant jamais gentil avec moi, j’ai accepté, naïve, candide, mignonne avec ma petite coiffure de hipster. Je suis montée chez Wolf, me suis assise sur le bord de sa baignoire, ravie, sourire niais sur mon visage tout choupidou, et il a rasé, rasé et rasé. Alors j’ai eu le doute. Le gros doute. Et je n’ai rien dit car Wolf me fait peur. Non mais déjà il faut s’appeler Wolf hein. Quand il a eu terminé je me suis levée en tremblant, me suis avancée vers le miroir, ai retenu un cri, mes larmes, mes années d’angoisse me sont revenues en plein crâne. Chauve. Cancéreuse de la moitié du cerveau.
« Mais j’ai plus de cheveux !
-Ben non.
-Mais euh…
-Non mais c’est comme ça que c’est geil. Punk. Geil. Allez bonne soirée petite. »
Quand je marche un peu vite j’ai froid au crâne. Geil.
Regards croisés.
Illustration : Dom Dada Licence Creative Commons