« Depuis le jour où j’ai décidé que j’avais envie d’être père, j’ai toujours voulu des filles. Vouloir une fille ou vouloir un garçon, l’idée est certes un peu idiote, la probabilité de chaque événement étant peu ou prou égale à 50%. Rappelons également que les méthodes à base de régime alimentaire spécifique, de position sexuelle adaptée ou de prise en compte de la prochaine pleine lune sont totalement inefficaces, ce dont on peut se réjouir. Mais l’être humain est ainsi fait: il émet des préférences, quitte à ce que le hasard aille à l’encontre du souhait émis.
Bien avant d’ouvrir mon premier livre féministe, j’ai voulu des filles parce que j’ai toujours trouvé que les garçons étaient de parfaits idiots. Cette façon de voir la vie comme un concours de qui a la plus grosse m’a toujours rebuté, y compris dans ma prime enfance. Je n’aimais pas leur façon de traiter les filles, leur façon de s’extasier devant une grosse voiture ou un film de bagarre. Pas envie d’abriter de tels dégénérés sous mon toit. Alors que les filles, ça semblait facile. Plus intelligentes, moins bourrines.
David ou Goliath
En devenant adulte et en multipliant les lectures et les conversations, j’ai compris la menace que représentaient les hommes, les multiples oppressions vécues par les femmes, les inégalités partout, tout le temps. J’ai réalisé qu’entre grandir fille ou grandir garçon, le fossé était grand. Les premières ne tardent généralement pas à apprendre qu’elles devront se battre pour avoir droit à autant de considération et de sécurité que les seconds, qui se vautrent dans des privilèges dont ils n’ont pas conscience. Soudain, j’ai compris pourquoi j’avais toujours eu envie que mes enfants soient des filles plutôt que des garçons: parce qu’aider David à tenter de terrasser Goliath semblait plus faisable qu’empêcher Goliath de devenir un monstre incontrôlable.
C’était au début des années 2010; depuis, je suis devenu père trois fois. Une fille, un garçon, une fille. Ne le répétez pas à mon fils, qui vient d’avoir 4 ans: lorsque la deuxième échographie a révélé qu’il était un garçon, je n’ai pas pu m’empêcher de ressentir un brin de déception. Je ne suis pas fier de ce sentiment un peu idiot, mais c’est un fait.
Aujourd’hui, leur mère et moi essayons de leur donner une éducation faite de respect mutuel et de compassion pour les moins favorisé-e-s. L’aînée a beau n’entrer en primaire qu’en septembre prochain, la question d’une éducation différenciée en fonction du genre se pose déjà depuis quelques années. Il n’est (presque) jamais trop tôt pour apprendre à notre première fille ce qu’il faut répondre (ou ne pas répondre) à un commentaire sur son physique ou sur le fait qu’elle choisisse le «jouet garçon» au McDo parce qu’elle préfère Pikachu à Hello Kitty. Il n’est pas trop tôt non plus pour expliquer à notre fils qu’il n’a pas intérêt à coincer une camarade dans un coin de la cour de récré pour soulever sa jupe ou lui voler un bisou. Nous découvrons des peurs différentes. D’un côté, celle que nos filles fassent les mauvaises rencontres et/ou qu’elles ne soient pas assez fortes pour parvenir à marcher sur la gueule de ceux qui leur chercheront des noises. De l’autre, celle que notre fils devienne malgré tout un sale con misogyne, un agresseur sexuel, un violeur (statistiques exclusives: 100% des violeurs ayant été des enfants de 4 ans, cela n’arrive pas qu’aux autres). (…) »