Elles passent l’une après l’autre, les stations. Et puis les images. Comme un film, un worst of. Tous ces pas avortés. Ces mouvements vers moi. Nous sommes dans la Choriner Straße. Tu descends de voiture, tu claques la portière, tu es beau. Tu portes un pantalon noir, une chemise blanche, une veste noire, tu sens bon. Tu me souris, je t’attends devant la porte de l’immeuble. Je te rejoins doucement et puis arrivée à un mètre de toi j’hésite, imperceptiblement, toi non, tu me souris toujours et tes yeux brillent dans le couchant. Tu fais un pas, encore un pas et moi je recule. Brusquement. Trop brusquement. Tu avances vers moi et moi je fais un pas en arrière. Tu avances et moi je trébuche sur moi-même pour t’éviter. L’air crisse entre nous, les sirènes hurlent à la mort. Tu avances et moi je t’évite. Tu avances et moi je baisse les yeux. Tu avances et je fuis. Cette scène passe et repasse devant mes yeux. Comment ton corps entraîné par son élan avance, comment le mien se fige. Je sens encore mes doigts qui se crispent, ma respiration qui s’interrompt, mon ventre, mes poumons, mes épaules, tout se ferme et recule. Brutalement. Les images se répètent. Seconde par seconde. Elles se décomposent, toujours plus lentement. Je les vois un par un ces détails que je voudrais ignorer. Au moment où tu réalises que la distance entre nous n’a pas changé. Alors que tu avances. Parce que moi j’ai parcouru la même distance dans l’autre sens. Cette image est horrible. Et elle se répète. Station après station. J’ai beau fermer les yeux en attendant mon arrêt, sur mon iris, toujours plus de détails. Tes yeux qui s’éteignent brutalement, l’interrogation comme un voile qui s’accroche aux poils de ta barbe, la déception et puis ce sourire qui revient, là, en une fraction de seconde, qui prétend ne jamais être parti, ton visage qui s’illumine à nouveau mais d’une lumière froide, un néon désagréable. L’image se décompose encore, se multiplie, on compare les négatifs. Sourire contre sourire. Chaud froid. Pourtant ni le ciel ni la lumière n’ont changé. Ton astre dans cette rue c’est mon cœur mais il est loin. Trop loin pour t’échauffer. Tu attrapes mon sac et ouvres la portière. Je monte à l’intérieur de la voiture. Tu souris toujours, tu me demandes comment s’est passée ma journée, tu ne quittes pas la route des yeux. Tu ne regardes pas mes jambes nues sous mes bas, tu ne regardes pas mon manteau élégant, mes yeux charbonneux. Sûrement tu te demandes pourquoi, pour qui, car il est certain que ce soir, sur ma peau, tu ne glisseras tes doigts. Tu fixes la route et tu souris toujours, tu fais la conversation. J’aimerais te hurler de ne pas sourire, de ne plus sourire, de me haïr mais je n’en ai pas la force. Enfoncée dans mon siège je me demande ce que je fais là, surtout je me demande ce que tu fais là, merveille que je ne mérite pas.