Dans mon post de la semaine dernière, je vous racontais être partie passer deux semaines dans le sud de la France avec X. Enfin, je vous racontais surtout les premiers jours ponctués de crise d’angoisse à l’idée que qu’importe où j’aille pendant la journée, quand je reviendrai le soir, il serait là.
Cet état émotionnel a duré six jours à peu près. Et le septième jour… Non, je ne me suis pas reposée comme dirait l’autre, le septième jour, boum, révélation.
J’étais en train de ranger la vaisselle qui avait séché pendant la nuit. Et tandis que j’ouvrais les placards, empilais les assiettes, réorganisais les piles de bols etc. j’ai été frappée en plein par les deux mots que je redoutais plus que tout : charge mentale.
C’est la soudaine répétition de cette tâche qui m’a fait réaliser que depuis quelques jours, on était passés de cette conversation :
Jule : Tiens, faudrait qu’on fasse la liste de courses pour le Réveillon.
X : Déjà faite, j’ai prévu de passer au supermarché cet aprem’ pendant que tu travailles et je me mettrai à cuisiner vers dix-neuf heures.
À cette conversation :
X. : Schaaaaaaaatz, la soupe qui reste, tu penses qu’il faut la mettre au frais ?
Jule : … (soi-disant profondément prise par la lecture de Sorcières, de Mona Chollet)
X. : Schaaaaaatz ?
Jule : Ben j’sais pas, tu vis tout seul depuis tes 16 ans, tu ferais quoi si j’étais pas là ?
X. : …
X. : Ben je la laisserais là parce que ça craint rien.
Jule : Bon ben t’as ta réponse.
X. : Oui mais je sais que tu aimes bien quand c’est fait comme toi tu veux.
OKAY, ON ARRÊTE TOUT.
Ça c’est vraiment un mystère qu’il faut qu’on m’explique.
Comment un mec, qui vit tout seul pendant des années, qui fait TOUT tout seul : ménage, cuisine, courses etc. se retrouve à douter de la moindre petite tâche liée au ménage (dans son sens large) quand il se retrouve à vivre en couple ?
X. étant un mec profondément formidable – et féministe engagé, je me permets de douter que sa personne soit le fond du problème. Non, encore une fois je vois bien que le grand méchant de cette histoire c’est, c’est, c’est ? LE PATRIARCAT. Mais tout à fait pardi !
Une semaine à vivre avec X. et je les sens bien passer les clichés dans lesquels on aime se fondre… Mais en même temps, comment lui/m’en vouloir ? On a grandi comme ça. Enfin moi j’ai grandi comme ça. À la maison ma mère faisait tout. Mon père, quand on le laisse tout seul pour quelques jours, il s’achète des boîtes de conserve de petits pois, du lait et de la purée en poudre (#WTF #OnSaitJamaisSiLaGuerre). Le mec est capable de se nourrir pendant une semaine de petits pois en boîte et de purée en poudre.
Passons.
Que nous dit le patriarcat :
1/ Les femmes sont meilleures pour les trucs liés au ménage, donc ça ne sert à rien de les aider puisqu’elles referont par dessus (en mieux). #gagnonsdutemps
2/ Du coup pour leur faire plaisir et bien on peut faire une surprise de temps en temps et préparer un truc exceptionnel genre un dessert ou alors lui faire du thé pendant qu’elle bosse. #jesuisunmecformidable #jesuisgraveféministe
3/ Parfois j’ai vraiment envie d’aider mais quand je veux faire un truc, elle a été plus rapide et elle y a pensé avant. #supermaman #ellepenseàtout
Ce que j’ai pris pour un « dans notre couple il n’y aura pas de problème lié à la charge mentale » était en fait un leeeeuuuuurre.
Le coup des courses et de la cuisine pendant que je bosse, bah c’était pour le nouvel an –> exceptionnel.
Le coup de la soupe –> elle sait mieux que moi / si je fais pas comme elle l’aurait fait, elle va refaire par dessus donc autant demander ».
Septième jour, neuf to go, je n’ai donc pas attendu plus d’une seconde. Mon amour ? Oui ? Viens par là s’il te plaît. La charge mentale tu connais ? Euh oui… Oui, il connaît, parce que la célèbre BD d’Emma a été très relayée même à l’international. #MERCIEMMA
Jule : En fait le challenge mon amour, ce n’est pas de diviser les tâches par deux.
X : Ah non ?
Jule : Non, c’est de diviser L’ANTICIPATION des tâches par deux.
X. : C’est-à-dire ?
Jule : Eh bien c’est-à-dire que là, concrètement, je n’ai pas la sensation qu’habiter avec toi divise par deux mes tâches ménagères (alors que c’est un peu l’intérêt de vivre à deux quand même. On divise le loyer ET les tâches ménagères (et on se voit tous les jours et on construit un truc sur le long terme mais ça vous l’avez compris, c’est pas l’argument pour moi)). En vrai je pense toujours trois fois par jour à ce qu’il y a dans le frigo, à ce qu’il faut préparer, à quelle heure le faire pour être à l’heure à nos divers rendez-vous etc.
X. : Mmmmh…
Jule : En gros choupchoup’, ce qui me fait rêver c’est pas que tu cuisines quand je te demande de cuisiner ou que tu descendes la poubelle quand je te dis que ça serait bien qu’on descende la poubelle… Ce qui me fait rêver c’est être en couple avec quelqu’un qui aura descendu la poubelle avant même que je remarque qu’elle était pleine. Avec quelqu’un qui passera la tête dans la chambre pour me dire « t’as besoin d’un truc, je vais faire les courses pour ce soir car j’ai vu qu’on n’avait plus rien dans le frigo. »
X. : Mais ça je le fais.
Jule : Oui, chez toi. Quand je suis chez toi à Berlin. Mais pas une seule fois – hors nouvel an – depuis qu’on est ici…
Le lendemain je dînais avec ma copine E. et pendant que nous échangions nos meilleures #chargementalestories
E : B. c’est le mec qui, un dimanche matin alors qu’on a des potes qui arrivent pour déjeuner, va se dire que c’est genre LE MOMENT parfait pour aller ramasser les branches mortes du jardin. Donc moi je suis là à m’activer sur l’entrée/plat/dessert et je le vois par la fenêtre en train de sortir le râteau, la scie, le sécateur, les gants… Mon chéri je t’assure que ça peut attendre, déjà on va manger, et ensuite éééééventuellement on fera un petit tour dans le jardin, mais bon janvier tu vois, là, je te garantis rien…
Donc on échangeait nos meilleures histoires et pendant ce temps-là, ce que je ne savais pas, c’est que X. était en train de faire à manger pour le lendemain, faire la vaisselle, descendre les poubelles, changer les sacs plastiques et nettoyer la cuisine. Quand je suis rentrée à l’appart c’était dur de ne pas rire.
Rire ? Comment ça, rire ? Il a fait exactement ce que tu voulais !
Que nenni ! Il a fait ce truc de mec typique : l’exceptionnel. Je fais un truc de ouf comme ça elle pourra plus rien dire pendant trois jours.
Du coup je me suis sentie un peu coincée parce que concrètement je n’avais pas envie de dire merci, ça aurait valorisé le côté « oh mon chéri c’est super gentil d’y avoir pensé » alors que le but de la conversation charge mentale (CM) c’était « ça serait bien que ça soit juste normal que tu le fasses aussi ». Parce qu’on est d’accord que vous dites beaucoup plus souvent « merci » à votre mec quand vous avez capté qu’il a rangé/nettoyé que lui ne vous le dit en retour.
Cette conversation CM on l’a eu à nouveau le lendemain parce que je faisais toujours un peu la gueule et je n’étais toujours pas persuadée que notre petite conversation de la veille allait suffire… J’avais très peur de ça (Crédit : Emma) :
Et puis je n’arrêtais pas de penser à ces études qui montrent que ce sont beaucoup plus les femmes qui s’occupent des autres (aka enfants, parents âgés, entourage malade) que les hommes. En lien avec cela, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’en tant que femme, j’ai grandi dans l’idée qu’il fallait que je pense toujours au bien-être des autres, tandis que les mecs autour de moi ont grandi dans l’idée qu’il fallait qu’ils aillent bien, eux-mêmes, pour être capable d’être assez fort pour nourrir leur famille.
X : Je veux bien qu’on fasse en sorte que ce soit 50/50, mais pour les repas par exemple, ben c’est compliqué parce que moi le midi, normalement je mange pas de gros repas comme toi tu fais, je grignote juste. Et je cuisine plutôt le soir, pour me détendre.
J : Alors d’accord, j’entends bien, mais là on vit à deux concrètement. Et chaque fois que je me suis fait un repas chaud cette semaine, tu en as voulu que je sache ? Tu ne m’as pas dit : non, je vais grignoter mon bout de pain avec du saucisson devant mon ordi. Tu es parti du principe, dès le début, que j’allais cuisiner pour deux.
X : Oui.
J : Et pour autant le soir tu n’as pas cuisiné plus que ça.
X : Non, parce que je sais que toi le soir tu grignotes.
J : Donc en fait, c’est parce que tu es gentil et que tu as voulu qu’on se cale sur mon rythme que je me retrouve à faire/penser tous les repas, c’est ça ? Un peu facile quand même…
X : Non mais on pourrait imaginer que je cuisine le soir en avance pour le lendemain midi. Et on fait une fois sur deux. Tu sais, moi j’ai besoin d’un système.
J : Et bien système ce sera !
Et hop, on a mis notre système en place. X. cuisinera les lundis et mercredis soir pour les mardis et jeudis midi, et moi les lundis et jeudis midis. Relou ? Extrêmement. Mais idéal pour prendre les réflexes courses/qu’est-ce qu’il y a dans le frigo. En gros, pour que X soit autant chez lui que moi. Parce qu’encore une fois, je pense vraiment que c’est une histoire d’habitude. Ce n’est pas de la mauvaise volonté de la part de X. (et d’une grande partie des mecs), c’est juste qu’il n’y pense pas. Et c’est compliqué de changer tout ça, ça prend du temps… Un peu comme moi quand j’étais petite. Je ne pensais pas au ménage, à la lessive, aux courses, ma mère faisait tout. Parfois je voulais « aider » mais je ne savais pas par où commencer… On grandit, garçons et filles, avec l’idée que la femme est la reine du foyer : elle sait où sont les choses, elle fait la déco etc. En gros, comme le dit Titiou Lecoq dans son livre, les mecs habitent chez leurs copines.
E : B. me fait souvent ce coup-là : il sait que je vais rentrer tard, vers 21h vu que je l’ai prévenu, j’arrive, crevée, je demande « qu’est-ce qu’il y a à manger ? » Lui : Bah en fait j’ai pas cuisiné parce que j’avais pas faim.
Mais alors moi je m’en contrefous qu’il n’ait pas faim. Il achète une pizza à emporter s’il veut mais quand je rentre crevée à 21h tel jour de la semaine, je veux manger en arrivant !
En soi ce n’est pas obligatoire. On pourrait se caler sur B. et dire « bah j’avais pas faim donc j’ai rien fait », mais à ce moment-là on sépare tout. On espère pas partager le repas que l’autre aura préparé et on se répartit les étagères. Ça s’appelle une coloc. C’est un choix. Franchement pourquoi pas, mais ça ne me dit trop rien perso.
Bref, comme X. est formidable et que je m’y suis prise tôt (j’ai l’impression de parler d’un chaton à qui j’aurais mis le nez dans son pipi en hurlant « tu vois ça ? NON »), la deuxième semaine s’est beaucoup mieux passée. Pour le coup le 50/50 a été respecté (et je dis bien 50/50 en anticipation des tâches). Mais j’ai senti que c’était très fragile. Et puis surtout, j’ai eu beaucoup de mal à ne pas dire systématiquement « merci ». Et que dire de cet horrible sentiment de culpabilité quand un jour j’ai remarqué que X. avait plus cuisiné que moi deux jours durant… Mais j’y travaille. Car il ne faut pas se leurrer : le problème est aussi à 50/50 : les mecs doivent apprendre à anticiper, et nous à changer nos habitudes (et nos propres réflexes sexistes !). Et parfois ce n’est pas toujours facile… Car ça signifie PAR-TA-GER.
Deux livres très cools si vous voulez creuser le sujet :
Titiou Lecoq, Libérées !
Emma, Un autre regard