Si vous vous retrouviez devant une œuvre de Murat Palta, à première vue, vous en apprécierez principalement la maîtrise de composition. Mais rapprochez-vous. Encore un peu. « Plus près, Clarice ». La scène ne vous parait-elle pas familière ? Ne reconnaissez-vous pas cette femme en jaune entourée de cadavres ? Et ces quatre hommes en blanc frappant un pauvre hère ? Ou encore cet énergumène au masque pointu ?
De prime abord, difficile de concilier l’art figuratif et illustratif « noble » qu’est la miniature Ottomane avec les poncifs « vulgaires » de la culture geek; certains excités y verraient même un mélange des genres tenant du blasphème. C’est pourtant dans cette dynamique que le travail de Murat Palta puise sa source: soumettre des références popculture aux traits de l’art traditionnel Ottoman; un mariage défiant l’uniformité des cultures et de la chronologie qui pourtant fonctionne à merveille. De son propre aveu, l’artiste « adore quand les gens se rapprochent des tableaux et éclatent de rire »; c’est le vertueux effet produit par des compositions questionnant mythes contemporains et passés.
Nous avons eu la chance d’interroger le jeune peintre turc : il nous raconte son processus créatif, ses inspirations et sa vision de l’art dans un pays au contexte politique de plus en plus difficile.
Jeu: saurez-vous reconnaître les films représentés par les œuvres ? Les réponses à la fin de l’article.
Hello Murat, peux-tu te présenter ?
Je suis un illustrateur basé à Istanbul. J’aime les films, la musique, les jeux vidéo, les livres, la mythologie, et j’adore tisser des liens entre tous ces éléments dans mon art. Je m’intéresse également à ces objets bizarres dont le kitsch n’est pas intentionnel.
Comment t’est venue l’idée de recréer ou mélanger certaines scènes connues du cinéma dans le style des miniatures Ottomanes ? Pourquoi ce style en particulier ?
Fut un temps où je me forçais à trouver une réponse à cette question; mais je crois qu’au final je ne faisais qu’en inventer une pour remplir le vide. Si on résume, ça doit tout simplement venir de ce que l’on appelle « la créativité ». Comment est-ce que les gens inventent d’autres formes d’expression artistique, si ce n’est « la créativité » ? Mais j’ai une réponse plus tangible pour le style.
Ce que nous nommons aujourd’hui l’art de la miniature s’appelait « tasvir » à l’époque. Il serait tout à fait juste de traduire ce mot par « illumination » ou enluminure. En gros, l’art de la miniature était la forme privilégiée de ce que nous appelons à présent l’illustration. Je voulais donc partir de cet état de fait pour créer un mélange, en tant qu’illustrateur.
Comment choisis-tu ce que tu vas représenter ?
J’ai tendance à chercher des éléments qui fonctionnent bien avec la vue orientale. Ça peut avoir un lien avec les personnages, la scène ou une atmosphère générale. Si l’un d’eux fonctionne, je me mets au travail.
A ton avis, pourquoi cela fonctionne dans une forme d’art historiquement si éloignée des scènes décrites ?
Mais finalement, nous ne remarquons l’éloignement historique que parce que nous connaissons le sujet des scènes. Nous avons déjà vu les films ou lu les bouquins. Il y a des gens qui, à première vue, pensent que mes œuvres sont de pures illustrations historiques – jusqu’à ce que quelqu’un les leur explique -. Voilà le trick pour moi. Je fais de mon mieux pour que mes créations aient vraiment l’air historiques. Plus tu les observes, plus tu remarques une autre histoire cachée derrière. J’adore cet élément de surprise. Et du coup, je suis à la recherche constante d’enluminures et d’illustrations médiévales.
Est-ce que ton travail influence ta manière de regarder des films ou d’apprécier l’art Ottoman ?
Je ne regarde jamais de films avec cette intention. Ça tue le fun. Je commence à y penser après. Au niveau du style Ottoman, ça me donne l’opportunité de toujours mieux découvrir et comprendre l’art de la miniature. Plus je travaille, plus je tombe sur des œuvres magnifiques.
Quelles sont les réactions suscitées ?
Les gens aiment beaucoup ! Les remarques négatives sont rares. J’adore le moment où les gens jettent un coup d’œil et commencent à rire au fur et à mesure qu’ils se rapprochent.
Le contexte politique turc influence-t-il ton travail ?
Malheureusement, oui. Je fais de mon mieux pour ne pas me retrouver noyé par ce qui nous arrive, mais il suffit d’un simple coup d’œil à mon portable pour que la réalité me rattrape. C’est comme si une fumée noire suintait de mon téléphone et laissait mon esprit dans le brouillard. Donc oui, ça affecte la manière dont je travaille. On me demande beaucoup si un jour, je créerai une oeuvre relative aux événements politiques actuels en Turquie; j’essaie d’éviter. Oui, nous sommes en train de vivre des heures difficiles, mais créer de l’art en lien direct juste pour le geste ne serait pas honnête; encore plus si on considère que je ne suis pas ce type d’artiste. Parce que je n’ai pas de talent pour évoquer ce type de sujets.
Néanmoins, j’observe un déclin dans l’appréciation de la culture, trop important pour ne faire aucun bruit. En tant que personne profondément passionnée par les cultures et l’histoire, ça me rend triste. Donc, peut être que j’évoquerai artistiquement cette problématique très bientôt.
Penses-tu que la popculture puisse acquérir un statut aussi fort que le style Ottoman par exemple ?
Je ne peux pas le savoir; mais, en considérant que la popculture n’a pas cette intention, ça ne m’a pas l’air d’aller dans ce sens. La miniature Ottomane, à l’opposé, était un art qui se revendiquait comme tel et qui était à l’attention des gens éduqués de son temps. Je pense que la popculture peut être le sujet, mais pas l’art lui-même. Mais encore un fois, je ne peux pas savoir.
C’est quoi la suite pour toi ?
L’art traditionnel en Turquie est comme tout autre trésor ; en creusant, je tombe sur des éléments très variés. Je vais donc continuer à créer dans différents champs de l’art traditionnel turc.
Pour retrouver le travail de Murat Palta, c’est par ici.
Réponses:
1) Orange Mécanique
2) Ghostbuster
3) Alien
4) Inception
5) Le Parrain
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